L’origine des couleurs de peau

Screen-Shot-2019-01-15-at-7.20.24-PMIl y a environ 7 millions d’années, au moment de la séparation progressive de la lignée humaine avec nos plus proches cousins, les chimpanzés et les bonobos, nos ancêtres avaient comme ces singes la peau claire mais couverte de poils. Même s’ils avaient une peau vulnérable aux UV, leurs poils les protégeaient du soleil. Il y a environ 2 millions d’années, en Afrique centrale, nos ancêtres qui étaient jusque là plutôt végétariens sont devenus des chasseurs efficaces en se spécialisant dans la course d’endurance. Ils pouvaient tuer leurs proies en les épuisant à la course aux heures les plus chaudes de la journée. Cette spécialisation a transformé le corps des hommes de deux façons: ils ont perdu leurs poils et ont acquis le pouvoir de suer en grande quantité pour refroidir leur corps pendant une longue course. C’est la lointaine origine des coureurs de marathon.

Une petite précision s’impose ici sur le fonctionnement de la sélection naturelle. Il n’est pas possible de transmettre à ses enfants des caractéristiques acquises au cours de sa vie. Chaque enfant naît par hasard légèrement différent de ses parents. Dans l’exemple précédent, un enfant peut naître par hasard moins poilu que ses parents ou suer plus que ses parents. Si le fait d’être né par hasard avec moins de poils permet à cet enfant d’être un chasseur plus endurant (il a moins chaud quand il court), il pourra transmettre cette caractéristique à ses propres enfants. Les enfants nés aussi poilus au plus poilus que leurs parents ont par contre eu plus de mal à chasser, à se nourrir et à avoir des enfants, ce qui a progressivement fait disparaître leurs caractéristiques des générations suivantes.

Nos ancêtres se sont donc retrouvés il y a environ deux millions d’années avec la peau claire et sans poils en Afrique Centrale. Ils ne sont cependant pas restés longtemps avec la peau claire sans poils, car l’exposition des peaux claires aux UV sans protection pose de gros problèmes pour la santé. L’exposition prolongée aux UV a entre autres le pouvoir de détruire la vitamine B9 (aussi appelée acide folique) présente dans le corps. Comme cette vitamine est indispensable pendant la division cellulaire et la grossesse, la peau de nos ancêtres s’est mise à foncer. Depuis qu’on a compris il y a quelques années le rôle clé de cette vitamine pour la grossesse, on en donne à toutes les femmes enceintes. Comme dans l’exemple des poils, certains enfants sont nés par hasard avec la peau plus foncée que leurs parents. Ils ont eu plus de facilité à avoir des enfants que les autres en conservant mieux leurs vitamines B9 et leur caractéristique s’est imposée dans les générations suivantes.

C’est ainsi que la peau noire a servi de protection solaire naturelle à tous les représentants du genre homo en Afrique Centrale pendant deux millions d’années. Voyons maintenant comment les représentants du genre homo qui sont sortis d’Afrique Centrale ont acquis une peau claire.

Depuis deux millions d’années, plusieurs représentants du genre homo ont quitté l’Afrique Centrale à des dates différentes. Je parlerai ici des hommes de Néandertal (nos lointains cousins) et des homo sapiens (notre espèce à tous), en particulier de ceux qui ont peuplé l’Afrique Australe, l’Europe et l’Asie. Les hommes de Néandertal sont une branche éteinte du genre homo qui a surtout vécu en Europe et dans l’Ouest de l’Asie. La séparation entre le lignage des hommes de Néandertal et le lignage des homo sapiens remonte à environ 600.000 ans, en Afrique. Les Néandertaliens n’ont pour l’instant plus été retrouvés par les archéologues après -30.000. On a découvert récemment qu’ils s’étaient mélangés avec les premiers homo sapiens présents en Eurasie et qu’ils ont transmis entre 1 et 4% de leurs gènes aux homo sapiens non africains actuels. La génétiques des hommes de Néandertal a montré qu’ils avaient la peau claire et pour certains des tâches de rousseur, dont certains d’entre nous ont hérité.

Comment les Néandertaliens ont-ils obtenu une peau claire? Quand les ancêtres des Néandertaliens ont quitté l’Afrique Centrale pour l’Eurasie, ils ont été confronté à un climat de moins en moins ensoleillé. Cela leur a vite posé des problèmes de santé car la source principale de la vitamine D chez l’homme est l’exposition aux UV. La vitamine D permet entre autres de fixer le calcium sur les os et de bien grandir. Le manque de vitamine D peut provoquer une maladie qu’on appelle le rachitisme, dans laquelle les os des jambes sont trop mous pour supporter le poids du corps et deviennent tordus. La peau foncée des ancêtres des Néandertaliens les protégeait du soleil mais empêchait le corps de fabriquer suffisamment de vitamine D car elle bloquait trop la pénétration des UV dans la peau. Ceux qui par hasard sont nés avec la peau plus claire que leurs parents ont mieux grandi dans leur nouvel environnement car ils pouvaient fabriquer une quantité suffisante de vitamine D et ont pu transmettre ce caractère à leurs enfants. Ceux qui sont nés avec la peau plus foncée ont eu plus de mal à grandir et à faire des enfants, et leur caractéristique a disparu des générations suivantes.  La couleur de peau des Néandertaliens était un équilibre entre la nécessité de se protéger assez du soleil pour conserver sa vitamine B9 et la nécessité de laisser passer assez d’UV pour fabriquer de la vitamine D.

Ce scénario s’est reproduit beaucoup plus tard pour les homo sapiens qui ont quitté l’Afrique Centrale depuis 150.000 ans. Il est intéressant de voir que le même problème de vitamine D a entraîné trois solutions différentes chez les homo sapiens. Les premières populations d’homo sapiens d’Afrique Australe, d’Europe et d’Asie ont toutes les trois eu la peau qui s’est éclaircie, mais à chaque fois ce sont des gènes différents qui sont responsables et des nuances de couleur de peau différentes qui sont apparues. Ces gènes ne sont pas non plus les mêmes que chez les Néandertaliens. Les populations San du Sud-Ouest de l’Afrique ont la peau beaucoup plus claire que les populations d’Afrique Centrale, mais leur peau ne ressemble ni à celle des Asiatiques ni à celle des Européens. Cela nous rappelle que la sélection naturelle ne produit pas en général de l’uniformité mais de la diversité. A partir d’un ancêtre commun à tous les poissons, la sélection naturelle n’a pas formé une seule espèce de super poisson qui aurait remplacé toutes les autres mais une très grande variété de poissons de toutes les tailles et de toutes les couleurs, chacun adapté à des niches écologiques différentes.

A quel moment la peau des San, des Européens et des Asiatiques s’est-elle éclaircie? On sait que les ancêtres des San sont arrivés en Afrique Australe il y a 150.000 ans, et que les ancêtres des Européens et des Asiatiques ont peuplé l’essentiel de l’Eurasie à partir d’environ 50.000 ans. Par contre, ils ont dû garder leur peau foncée un certain temps. Les études génétiques sur les populations européennes indiquent par exemple que les principaux gènes actuellement responsables de la dépigmentation de la peau sont apparus il y a moins de 20.000 ans, dans le contexte du dernier maximum glaciaire. Le problème de manque de vitamine D et la pression de sélection semblent avoir été encore plus sérieux à ce moment-là car les températures très basses dans le Nord de l’Eurasie ne devaient pas pousser les homo sapiens à rester trop longtemps dehors.

Quelles conclusions en tirer? Nos ancêtres étaient encore tous noirs il n’y a pas si longtemps à l’échelle de l’histoire du genre homo (un peu plus de 2 millions d’années).  Chez les homo sapiens comme chez les Néandertaliens avant eux, la couleur de la peau vient de l’équilibre entre deux exigences contradictoires: il faut avoir une peau assez foncée pour empêcher les UV de détruire la vitamine B9 et pour avoir de bonnes chances d’avoir des enfants; il faut par contre avoir la peau suffisamment claire dans un environnement peu ensoleillé pour pouvoir fabriquer de la vitamine D pendant l’exposition au soleil. Le résultat est une variété infinie de nuances de couleur de peau chez les populations humaines en fonction du niveau d’ensoleillement du milieu de leurs ancêtres et des métissages successifs entre populations d’origines différentes. La nuance de notre couleur de peau ne nous rend ni plus intelligents ni plus bêtes, ni supérieurs, ni inférieurs, elle permet simplement de réguler notre quantité de vitamines en fonction de l’endroit où habitaient nos ancêtres il y a quelques milliers d’années. Pour ceux qui, volontairement ou involontairement, n’habitent plus du tout sous les mêmes latitudes que ces ancêtres-là, il est recommandé de surveiller régulièrement avec un médecin sa peau, son niveau de vitamine B9 ou de vitamine D pour rester en bonne santé.

Pour en savoir plus sur le sujet des couleurs de peau, vous pouvez regarder la vidéo en anglais de Nina Jablonski de Pennsylvania State University dans les vidéos recommandées ou lire son livre Living Color, Berkeley, University of California Press, 2012. Les recherches sur l’origine de la course d’endurance ont été menées entre autres par Daniel Lieberman de l’université Harvard. Voici une conférence en anglais qu’il a donnée pour la Leakey Foundation.

Pour une présentation en français des adaptations du corps humain à la course d’endurance, vous pouvez regarder le cours de Jean-Jacques Hublin du 13 novembre 2018.

https://www.college-de-france.fr/site/jean-jacques-hublin/course-2018-11-13-17h00.htm

Pour en savoir plus sur la dépigmentation, vous pouvez consulter l’article de Sandra Beleza et alii, The Timing of Pigmentation Lightening in Europeans, publié en 2013 dans Molecular Biology and Evolution et accessible ici:

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3525146/

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